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Georges Millais, bourgeois français expatrié en Angleterre, avait fait fortune dans les céréales, notamment le blé, l’orge et le millet, lorsqu’il décida un jour d’élargir ses horizons commerciaux : il se tourna alors vers le textile, et fit construire en 1812 un ensemble d’immenses bâtiments à l’extérieur de Londres, pour accueillir les tonnes de marchandises qu’il recevait des Indes. Il donna aux lieux le nom d'Edmund Cartwright, mécanicien anglais qui inventa le métier à tisser mécanique en 1787, bien qu’il hésitât un temps à rendre hommage à Sa Majesté George IV.
Son unique fils ayant péri en mer quelques années plus tôt, sans héritier, Millais céda en 1836 l’intégralité de ses affaires (en déclin, notons-le) à son associé et se retira dans son domaine vendéen pour y finir paisiblement ses jours. L’associé, finalement peu adroit une fois maître des échanges, se laissa lentement grignoter par la concurrence et, quatre ans plus tard, criblé de dettes et désolé, se pendit dans son bureau.
Tout au long de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, le hangar passa entre les mains de toutes sortes de commerçants qui renoncèrent un à un aux bâtiments démesurés, trop coûteux à entretenir, bâtis par un homme qui avait vu bien trop grand sans réellement envisager l’avenir.

En 1915, Cartwright fut brièvement transformé en hôpital militaire spécialisé dans la prise en charge des grands brûlés ; cependant, mal entretenu, exposé aux vents, l’humidité y régnait et il fut finalement évacué un an plus tard. On y entreposa éventuellement des véhicules et du matériel, mais lorsque la guerre prit fin, il retomba dans l’oubli, jusqu’au conflit suivant.
Entre 1939 et 1945, les sous-sols du hangar servirent de refuge contre les bombes allemandes qui déchiraient Londres (l’aile droite du bâtiment central fut d’ailleurs partiellement détruite et naturellement jamais reconstruite) et de lieu de réunion de fortune pour des résistants socialistes allemands un temps seulement, puis des Français.

En 2015, alors que la municipalité émettait le souhait urgent de détruire ce bâtiment vétuste qui n’était guère plus fréquenté que par des chats et des sans-abris, le projet de construction de logements disparut soudainement du débat public. Le bruit courait bien qu’il avait été racheté, mais cela ne fut confirmé que quelques mois plus tard par l’ajout progressif de panneaux informatifs découverts par des gamins en pleine exploration. Ces plaques, posées par une main  visiblement anonyme, retracent l’histoire de ce vieux hangar témoin de deux révolutions industrielles successives et de deux guerres cruelles, qui manqua pourtant d’être rasé pour pallier à la surpopulation de Londres.

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