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Si le commun des environs ne connaît des fantômes de Cartwright que deux silhouettes dépareillées, l’une grande et sombre, l’autre frêle et colorée, de temps à autres aperçues à travers un carreau brisé, les initiés de la nuit les fréquentent quand ils veulent bien se montrer. Tels Bonnie et Clyde, plus liés encore qu’ils ne le pensent, ils orchestrent d’un commun accord la symphonie qui fait valser à minuit le grand hangar, grinçant et vieillissant, mais bien vivant.

Elle est très jeune et n’entend rien aux affaires, qu’elle lui délègue donc volontiers ; sautillant dans les larges couloirs en secouant sa chevelure colorée, son chien sur les talons, elle chantonne, inspecte, constate des réparations urgentes, note, imagine des projets de décoration et d’activités. Sa dernière lubie en date est le jardinage, aussi a-t-elle élaboré les plans d’un potager dans l’aile droite endommagée par les bombes, et des légumes poussent maintenant au milieu des débris d’acier et de verre. Lui, attablé au colossal bureau toujours en place depuis 1812 (celui même duquel l’associé de M. Millais se pendit), dresse machinalement des colonnes de calcul, caresse les cordes de sa guitare, griffonne sur une partition : les notes et les chiffres finissent par se mélanger et cela n’a pas réellement d’importance, car les bénéfices leur importent peu. Le soir, quand les rires fusent dans les sous-sols, les cartes volent sur les tables, la musique sature les oreilles et les verres s’entrechoquent, ils sont heureux.

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